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Lettres relatant du respect de la vie

Oui, cher ami, et vous pouvez tous m'étrangler, si vous voulez, mais jamais je ne reconnaîtrai des différences de valeur objectives entre les êtres vivants. Chaque vie est sacrée! "Sacrée" signifie qu'il n'y a plus rien au-dessus qui serait supérieur, comme on ne saurait ajouter aucune autre vitesse à la vitesse de la lumière. Les différences de valeur ne sont donc que subjectives, nous les établissons à partir de certaines nécessités pratiques, mais en-dehors de celles-ci elles n'ont aucun sens. La proposition selon laquelle toute vie est sacrée ne peut être dépassée. Sur ce plan je suis et je resterai toujours un hérétique. C'est là une question de principe, une de ces questions qui descendent jusqu'aux fondements de notre conception du monde. Je te plains vraiment d'avoir pour ami un gaillard tel que moi.

(Lettre du 7.11.1923, adressée à Oskar Kraus, publiée in Etudes Schweitzeriennes, n°3)


Ah! jamais je n'aurais pensé que l'éthique du respect pour la vie trouverait de tels défenseurs et parviendrait à une telle reconnaissance! Il m'arrive souvent de rencontrer dans un livre ou dans une revue l'expression "respect pour la vie", sans que l'auteur paraisse se rendre compte qu'il s'agit d'un nouveau concept et que son origine remonte à ce que j'ai écrit. Ainsi le mot est-il déjà en vogue...

(Lettre du 14.10.1947, à Fritz Buri)


Je viens tout juste de tuer un moustique, qui tournait autour de ma lampe à pétrole. En Europe, je ne l'aurais pas tué, même s'il n'avait cessé de m'importuner. Mais ici où il répand la forme la plus dangereuse de la malaria, je me donne le droit de le tuer, bien que je n'aime pas le faire. Ce qui me paraît essentiel, c'est que tous, nous réfléchissions sérieusement à la question: dans quelles circonstances nous est-il permis de combattre un être vivant et de le tuer?
La plupart des hommes ne reconnaissent pas encore la légitimité de cette question. Leur point de vue n'a pas changé, c'est toujours celui qui autorise comme allant de soi que l'on combatte et extermine des vies - et que l'on pratique aussi ce genre d'actions comme un sport (c'est la chasse ou la pêche gratuite, pour le plaisir, sans nécessité professionnelle). Dans mon hôpital sont arrivés récemment des gens qui, au cours de leur voyage sur le fleuve, avaient tué, pour le sport, toutes les sortes d'animaux qui se tenaient malencontreusement à portée de leur fusil: un pélican (qui pourtant en cette saison doit nourrir ses petits), un crocodile, qui dormait sur la branche d'un arbre émergeant de l'eau, et un singe qui observait le passage du bateau.
Des gens de cette espèce, j'essaye de les amener à réflexion. Un grand progrès serait déjà accompli, si les hommes commençaient à réfléchir et se rendre compte, raisonnablement, qu'ils n'ont le droit de nuire, détruire et tuer qu'en cas de besoin. Là serait l'essentiel. La casuistique viendrait ensuite. Exemple: On m'a amené quatre jeunes pélicans, à qui des hommes dénués de sensibilité avaient coupé les ailes, de sorte qu'ils ne pouvaient plus voler. Il faut dans ces conditions attendre deux, trois mois, avant que les ailes ne repoussent et que ces oiseaux ne puissent se débrouiller par eux-mêmes, dans la liberté retrouvée. J'ai engagé un pêcheur pour qu'il procure à ces jeunes pélicans leur nourriture. Chaque fois je suis désolé pour les poissons qu'il leur apporte. Mais voici mon dilemme: ou bien tuer les quatre pélicans, les laisser mourir de faim, ou faire tuer les poissons. Est-ce que je fais bien de défendre la vie des uns au détriment de celle des autres? Je ne sais pas.

(Lettre de Lambaréné, datée de 1951, adressée à Jack Eisendraht)


Je reçois tant de lettres de la part de gens pour qui l'éthique du respect pour la vie a du sens. Je n'arrive pas à me rendre compte que c'est à moi qu'il a été donné de franchir ce pas. Saint François d'Assise avait déjà cheminé dans cette direction, mais en s'exprimant d'une manière poétique. On a apprécié son message comme étant une magnifique poésie, qui avait sa place dans l'histoire de la culture. A moi a été réservée la tâche de dire cela avec des mots ordinaires et de le présenter comme une exigence de la pensée. Mais pourquoi moi?

(Lettre du 10.12.1962, à Gerald Götting, Berlin)


Si l'éthique du respect pour la vie commence à s'imposer dans le monde, c'est surtout parce qu'on commence à l'enseigner dans les écoles.

(Lettre du 2.4.1965, au Pr.Hans Walter Bähr, Tübingen)